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vlad
21 février 2007

Sigismonde en trois actes: III

**jour**

L’aube pointait à peine et la lune pâlissante dardait un rayon sur les yeux fermés de Sigismonde. Une musique lancinante hantait son demi-sommeil et finit par la réveiller. Le générique du dvd se répétait en boucle. Engourdie, elle s’étira et but une gorgée d’eau. Elle traîna ses chaussons jusqu’à la cafetière et réalisa d’un seul coup qu’aujourd’hui elle devait bosser, et qu’elle était morte dans la nuit.
Elle était consciente de n’avoir que rêvé, mais quelque chose l’intriguait malgré tout : elle ne s’était pas réveillée de ce cauchemar.
Et si elle était réellement morte ? N’ayant jamais réfléchi à sa propre fin, l’idée l’amusa d’imaginer qu’elle vivait sa première journée post-mortem.

Celle-ci commençait d’ailleurs plutôt bien : son réveil éteint, elle avait quand même arrêté de dormir pile au bon moment pour se préparer sans se presser et sans arriver en retard.
Elle but tranquillement son café-Baileys’ en regardant le ciel se colorer.
Elle décida d’être un cadavre coquet, enfila des vêtements qu’elle aimait et osa même sortir des chaussures à talon.

Elle ne trébucha pas dans l’escalier, bien qu’elle le descendit en gambadant , et sauta dans sa voiture. Sigismonde vérifia dans le rétro son apparence : jolie brune aux cheveux longs et bouclés, son chignon dégageait un visage pâle, dont les cernes avaient disparus ce matin, et des grands yeux noirs surlignés d’eyeliner. Ses larges lèvres lui envoyèrent un sourire.
« Ok c’est parti ! »

Elle était reposée, fraîche, pleine d’un bonheur calme et injustifié qui contrastait avec son humeur du week-end. Une journée au paradis s’annonçait.

Sur le trajet, elle fuma, chanta, eut deux fois trois feux verts d’affilée, trouva une place juste devant la porte du siège social où elle travaillait. Active depuis peu d’années, son métier n’était pas encore très gratifiant, et sa timidité ne l’imposait pas comme une employée capable d’assumer plus de responsabilités qu’elle n’en avait.

Le temps passait vite. Les yeux tournés vers la fenêtre, Sido rêvait comme à son habitude. Ce début de semaine était doux et calme, elle n’avait pas beaucoup de travail à amasser et faisait surtout acte de présence. Ses collègues surfaient sur internet, chattaient sur msn, ou faisaient les mots fléchés du 20minutes aux dépens de l’entreprise.

Il faisait beau aujourd’hui.

En allant chercher un café, Sigismonde croisa le mec mignon du service communication. Ses yeux fascinants se plantèrent dans les siens pendant de longues minutes. Un sourire irrépressible poind au coin de ses lèvres mais elle n’osa pas parler. Ce genre d’entrevue met le cœur en joie : pas de conséquences, juste de l’espoir inavoué, une attirance, pas d’amour encore. C’est donc avec l’impression de marcher sur coussins d’air que Sido s’éloigna, se retenant de se retourner, dans le couloir.
Elle devait le recroiser après la courte pause déjeuner, dans la cour intérieure du bâtiment, pour la seule cigarette qu’elle s’autorisait pendant ses jours de travail. Il s’approcha d’elle pour lui demander du feu. Le coeur battant plus vite, elle le lui tendit, et forcément, leurs mains se touchèrent.

D’habitude elle remontait à son poste studieuse et rassérénée de ce moment de détente. Ce jour particulier, elle prolongea l’instant, profitant du soleil – et de la présence du second fumeur. Le printemps revenait. Quelques pigeons se posèrent en haut de l’immeuble. Se chamaillèrent. S’envolèrent à l’ouverture d’une fenêtre.
Les deux humains, eux, après avoir laissé passé quelques anges, remontèrent. Toujours sans parler. Ils échangèrent juste un sourire vaguement complice avant que leurs chemins familiers se séparent.

Sido savait déjà qu’elle garderait comme une collégienne ces petits souvenirs, qui ne manqueraient pas d’alimenter une énième conversation sur les mecs, les mecs, les mecs avec Aurore. Elle hésita d’ailleurs à l’appeler. Mais l’impression que lui avait laissé sa nuit la retint. De toute façon, ce n’était pas sérieux de gaspiller son temps de travail à des communications personnelles.

D’une humeur toute professionnelle, Sigismonde ne vit donc pas passer son après-midi, s’efforçant de ne pas penser à son coup de cœur aux yeux verts pendant son service pourtant paperassier et monotone.
Quand elle leva les yeux, elle vit que l’horloge était d’accord pour la laisser partir. Ça tombait bien, le travail – restreint - du jour était accompli. Pas besoin de rester plus longtemps. Ou le temps dire au revoir aux collègues en souriant.

Sigismonde flânait dans la rue. Elle avait décidé de faire quelques courses avant de rentrer. Profiter un peu du jour qui tombait aussi.
Un peu de vent emmêlait les cheveux du chignon défait. Une cigarette à la main, un sac plastique rempli de menus réjouissants, choisis par coups de tête, dans l’autre, Sido rentra dans sa voiture.
« Finalement la mort a été sympa ! » se dit la jeune femme en repensant à sa journée.
Elle en aurait voulu tous les jours des comme ça. Elle s’était sentie revivre après son week-end mortel. Elle allait inviter Aurore pour la soirée. Une semaine qu’elles ne s’étaient pas vues. Et puis elle avait repéré un resto japonais assez sympa à essayer entre copines.
« J’espère qu’elle ne m’en veut pas de ne pas être venue samedi… »

Le crépuscule donnait à la ville des couleurs fantastiques. La lumière jouait avec les nuages, les feuilles des arbres et les murs. Sigismonde avait toujours préféré cette heure à toutes les autres. Elle décida d’allumer une nouvelle cigarette pour fêter le coucher du soleil.
« Oh et puis non. Il faut que j’arrête… »
En rangeant sa cigarette, Sido omit de s’arrêter à un croisement.

Et puis elle est morte.

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Commentaires
E
bah c'est particulièrement joyeux comme fin. Moi j'aime bien.
I
Je croyais que le dernier volet de la "trilogie" devait etre plus gay ;-)
vlad
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