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vlad
16 février 2007

Sigismonde en trois actes: I

**jour**

Un coup d’œil sur sa montre. C’était la fin de l’après-midi. La nuit ne tombait pas encore, mais c’était l’heure de se décider.

« Est-ce que j’y vais ? »
« Est-ce que je les appelle ? »

Sigismonde était en proie à ses habituelles angoisses. Elles resurgissaient quand son moral était en baisse. Quand la fatigue prenait le pas sur sa raison, elle doutait de tout, devenait craintive et fataliste. D’une imagination débordante, elle s’imaginait dans Truman Show, un monde où rien n’est vrai et où tout est fait pour la tromper. On la regardait, on l’observait, on la jugeait. Elle ne croyait pas en Dieu. Mais le regard d’un public est aussi pesant et omniprésent. Pire que tout, elle redoutait de perdre ses amis, ou plutôt de ne jamais les avoir eu. Et si ils n’avaient jamais fait que semblant de l’apprécier, tandis qu’ils supportaient sa présence ? D’où ses interrogations douloureuses du samedi soir.
« Est-ce que je sors ce soir ? J’ai besoin de les voir. De leur parler. De les entendre rire. »
Ca ne pouvait que lui faire du bien. Elle prit son répertoire sur ses genoux et l’ouvrit au hasard. Tourna deux pages. Le téléphone dans la main elle se répéta mentalement les courtes phrases qu’elle avait à dire.
« On sort où ce soir ? à quelle heure on se retrouve ? »
Elle composa le numéro. Se ravisa. Oh ! et puis c’était des amis après tout, pourquoi hésitait-elle autant ? Ça sonnait occupé. Elle raccrocha précipitamment dès qu’elle entendit le début du répondeur.

Elle sortit une bière du frigo et se posa sur son clic-clac. Elle alluma une cigarette après la première gorgée. Elle oubliait qu’elle voulait sortir. Un peu amère, elle se laissa gagner par la paresse. Une petite soirée tranquille en perspective. Cocooner après la journée morose qu’elle avait subie. Un week-end oisif, au ciel couvert, blanc comme un thé au lait.
Sigismonde était habituée à la solitude. Rêveuse et lunatique, elle se tenait souvent à l’écart, silencieuse et les yeux écarquillés. Presque par hasard, elle s’était intégrée à un groupe d’amis. A la manière d’une moule qui s’accroche à un rocher. Ils étaient son refuge et elle les considérait comme les seules personnes qui valaient vraiment la peine d’être connues, et craignait précisément pour cela que ce ne soit pas réciproque. Elle avait peur de ne pas être à leur hauteur.

Troisième bière déjà. Elle avait machinalement passé sa soirée à lire des blogs. L’ennui et le sommeil la gagnait depuis longtemps. Mais l’inertie et le défilement hypnotique des mots la clouaient au canapé. Alors qu’elle cliquait, pour la cinquième fois en deux heures, sur le journal intime-public en ligne de sa meilleure amie, une grande impulsion la saisit et elle referma l’ordinateur portable pour le poser à côté du cendrier.

Elle se déshabilla partiellement et se coucha telle quelle, renversant une bouteille au passage.
« Merde. Je nettoierai demain. »
Elle fuma une dernière cigarette, avec la braise pour tout éclairage. Son téléphone se décida alors à sonner.

« - Allo Sido ? C’est moi.
- Ah, salut. »

Elle avait répondu d’une voix lourde, mais elle avait reconnu Aurore. La personne qui la connaissait le plus au monde. Toutes les deux introverties, elles savaient en somme peu de choses l’une sur l’autre.

« - Tu dormais ?
- Non pas encore. J’entends du bruit derrière, t’es avec les autres ?
- Ouais. On est au « Oldies ». Tu viens pas ce soir ? Il est encore tôt, tu peux nous rejoindre ! »

Aurore avait la voix joyeuse de ceux qui veulent se convaincre et convaincre les autres que tout va bien.

« - J’ai pas vraiment envie. »

Sans trop savoir pourquoi, les larmes lui montaient aux yeux. Elle but un peu d’eau et alluma une autre cigarette, pendant que son amie lui décrivait une soirée fabuleuse, dans un cadre branché et cosy à la fois. Tout le monde était là, sauf Christian qui bossait demain, on riait beaucoup, et Phil payait une tournée.

« - Je suis désolée, mais je ne pense pas venir. Je suis vraiment crevée. J’allais me coucher. Mais si tu veux, tu peux passer chez moi après... Désolée, hein ? »

Sigismonde regretta instantanément chacune de ses paroles. Elle n’avait aucune envie qu’Aurore débarque imbibée et euphorique dans le calme du studio, elle ne voulait pas passer pour une gentille fille qui se couche avec les poules, et il fallait absolument qu’elle se débarrasse de cette habitude de s’excuser de tout.

« - Bon c’est pas grave. A plus. Bisous. »

Aurore avait raccroché sans attendre de réponse. Sido regarda l’écran de son téléphone scintiller jusqu’à ce qu’il s’éteigne. Elle se demandait si son amie lui en voulait de ne pas venir. Dans quelle mesure la description de la fête avait été volontairement enjolivée pour la faire venir. Si Aurore la manipulait juste pour avoir quelqu’un à qui parler quand elle ne va pas bien – ce qui semblait être le cas ce soir. Et si elle abusait de sa gentillesse. En regardant le plafond, elle imagina si quelqu’un pouvait la voir, comment il jugerait son comportement…
« Pfff. C’est des conneries. T’es parano pauvre conne. »
Elle ferma les yeux.

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Commentaires
E
... de déjà vu. Pas le texte. La situation. J'aime.
vlad
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